Rekebisho #unstoppable: la détermination des jeunes des bidonvilles
Unstoppable est leur devise et c’est certainement le mot qui définit le mieux les membres de Rekebisho. A l’origine un projet pour et fondé par les jeunes de la rue de Nairobi au Kenya, Rekebisho (mot swahili qui signifie “évolution, impact positif”) est aujourd’hui une école pour les enfants des bidonvilles. Cette école après 16h se transforme en club de boxe qui fait naître une nouvelle génération de boxeurs kényans. Grâce à leur volonté et au fur et à mesure des victoires de leurs boxeurs, Rekebisho suscite un engouement de plus en plus fort.
Sommaire
L’origine du projet: empowerment et hip hop based education
Rekebisho à l’heure actuelle : empowerment à travers l’éducation et le sport
Les projets futurs: empowerment et autonomie financière
L’origine du projet: empowerment et hip hop based education
Tout commence en 1997, alors que j’étais, à l’âge de 19 ans, bénévole dans le programme d’échanges culturels internationaux ICYE au Kenya. Lassée de constater l’inefficacité des actions pour les enfants de la rue mises en place par les ONG locales et internationales, j’ai créé avec les jeunes de la rue des quartiers de South B, South C et Nairobi West, une ONG basée sur la notion d’empowerment, principe qui vise à octroyer davantage de pouvoir aux individus ou aux groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles ils sont confrontés5. Les actions des autres ONG était basées sur de l’assistanat, des propagandes religieuses ou bien encore des actions qui ne répondaient en aucun cas à la spécificité de ce public et à leurs attentes.
Diaporama sur les débuts du travail de rue avant la création formelle de l’ONG Rekebisho
Ces ONG étaient d’ailleurs très peu fréquentées par ces enfants car elles ne prenaient pas en compte le processus de socialisation acquis dans la rue. Elles exigeaient de l’enfant qu’il modifie sa manière d’être et ne lui faisaient voir que les cotés négatifs de sa condition et de ses comportements. Rekebisho, au contraire, les valorisait et prenait les cotés positifs de leur acquis pour les exploiter d’avantage à travers des activités culturelles, sportives et artistiques tout en leur permettant de reprendre contact avec leur famille. Nous avons parfois parcouru des villages à des centaines de kilomètres de Nairobi à la recherche de parents localisables uniquement par des souvenirs vagues d’enfants désemparés. Parallèlement à ces activités, nous avons permis aussi à certains jeunes de suivre des formations professionnelles (mécanicien, menuisier…) et d’ouvrir des petits commerces (vente de tee shirts, barbier…).
Les autres centres n’accueillaient que les moins de 12 ans, Rekebisho n’avait pas de limite d’âge et était donc perçu par les adolescents et les jeunes adultes qui vivaient dans la rue comme le projet de la dernière chance. La détermination à réussir de ces jeunes leur ont fait gagné de nombreuses compétitions sportives et artistiques et ont permis à la plupart d’entre eux de sortir de la rue.
A l’époque, le phénomène des enfants de la rue était un véritable fléau au Kenya. Ils étaient des centaines de milliers (300 000 en l’an 2000) à vivre dans les rues de Nairobi, à sniffer de la colle et de l’essence et a consommé tout type de drogues. Ces enfants étaient fréquemment battus par les policiers et les gardiens et étaient emprisonnés arbitrairement. Beaucoup ont été assassinés par la “mob-justice”, la justice de foule.
Durant, la création et les premières années de Rekebisho, je poursuivais mes études et mes recherches en sociolinguistique sur le parler sheng des jeunes de la rue, ce qui m’a aidé à mieux comprendre ces jeunes et à identifier leurs besoins. Une réelle culture “enfants de la rue” existait et ces enfants pour leur grande majorité refusaient de retourner à l’école. C’est pour ces raisons que nous avons décidé avec eux de mettre en place des activités qu’eux mêmes choisissaient et qui leur permettraient de sortir de la rue sans renier leur passé. Les premières activités qu’ils ont souhaitées mettre en place étaient: la boxe, la peinture, le graffiti, la musique, le rap, le breakdance, l’artisanat et le football. La boxe a tout de suite suscité un engouement fort, bien que les entraînements soient difficiles et nécessitent une bonne condition physique. Ces activités étaient financées par notre argent personnel et par de rares dotations ponctuelles que nous avons reçues (une de la mairie de Paris 2000 et une du Forum des Solidarités Nord-Sud 1999).
Diaporama sur les débuts de la création de Rekebisho: la construction du local, les activités (musique, peinture…)
De nombreux bénévoles venus de France ont participé à ce projet en faisant des séjours de plusieurs semaines à plusieurs mois au sein de Rekebisho dans le bidonville de Mukuru comme l’ancien graffeur Vincent Abadie, Abadiafez (Zepha) aujourd’hui célèbre pour ses peintures et ses calligraffitis, le danseur chorégraphe Thony Maskot, pionnier du hip hop en France et fondateur de la première école de formation de danse hip hop.
Le bénévolat n’a jamais été perçu dans notre association comme un don de soi au profit des autres (ce qui, je pense, est tout à fait illusoire) mais comme une recherche personnelle d’expériences et d’échanges culturels qui profitent autant voir plus à celui qui donne qu’à celui qui reçoit. Les bénévoles n’étaient pas choisis suivant les compétences qu’ils pouvaient apporter mais bel et bien sur ce que cette expérience pouvait leur apporter. Ainsi, les jeunes déscolarisés ou sans emploi (de banlieues parisiennes) et ayant grandit dans la culture hip hop, étaient prioritaires sur d’autres bénévoles de milieux plus aisés.
Pour résumer l’histoire de Rekebisho, c’est une organisation pionnière dans la solidarité fondée sur l’empowerment et la pédagogie hip hop (Hip Hop based education).
Bien sur, il y a des ombres au tableau, certains membres de Rekebisho nous ont quittés brutalement, nous évoquerons avec grande tristesse la disparition d’Amani, le décès des frères jumeaux Kahiga et Kimani fondateurs de Rekebisho, et l’assassinat d’Omboko membre du bureau de Rekebisho. Les meilleurs partent malheureusement les premiers…
En 2009, les anciens jeunes de la rue devenus adultes décident de réorienter leur projet vers la prévention du phénomène des enfants de la rue en agissant dans les bidonvilles au sein des familles en difficulté. Ils ouvrent, en 2010, une pépinière préscolaire accueillant près de quarante élèves. Cela s’est réalisé avec comme principales ressources leur engagement quotidien et le soutien de bénévoles français, notamment Elise Menard, qui ont séjourné plusieurs mois à Nairobi. En 2011, se crée officiellement en France grâce à Elise, sa mère Maguy et leurs proches, l’association Les Amis de Rekebisho qui intensifie et régularise l’aide et leur permet d’ouvrir en 2012 une cantine où les enfants reçoivent un petit-déjeuner et un repas à midi.
Rekebisho à l’heure actuelle : empowerment à travers l’éducation et le sport
Le Rekebisho Learning Center est toujours financé par Les Amis de Rekebisho et compte aujourd’hui quatre enseignants et une cuisinière. Il accueille une centaine d’enfants dans quatre classes de différents niveaux de l’école primaire.
Notons que Rekebisho est l’une des rares ONG qui a su perdurer dans cet environnement et qui malgré un budget annuel assez limité est reconnue pour l’efficacité de son action. Cette année, Rekebisho a reçu un financement de l’Ambassade de France pour l’aménagement de la cuisine et l’installation d’une arrivée d’eau.
Aujourd’hui, Rekebisho est une ONG gérée et dirigée uniquement par les anciens enfants de la rue qui sont à l’origine du projet parmi eux: Joseph Wainaina, John Otieno (“Johny Big”), Mohammed Kimeu (“Chocks”), Frederick Muyayano (Adam) et le chanteur Isaak Nyongesa connu sous le nom de Mtapa qui a d’ailleurs consacré une chanson à Rekebisho. Ceci est une grande satisfaction car, d’une part, ils gèrent ensemble l’association à merveille et d’autre part, car cela rentre tout à fait dans la vision de l’humanitaire que nous avions qui privilégie l’empowerment (en français “l’autonomisation”).
Récemment, les membres de Rekebisho ont décidé de reprendre des activités destinées aux jeunes. Ayant constaté des bienfaits qu’avaient apportées la boxe aux jeunes de la rue, nous avons décidé de remettre en place cette activité pour les jeunes des bidonvilles confrontés à la délinquance, l’inactivité (taux de chômage très élevé), la violence, l’appartenance à des gangs et la consommation de drogue. La boxe avait effectivement permis aux débuts de Rekebisho à un grand nombre de jeunes non seulement de canaliser leur énergie et de contribuer à leur développement personnel et à l’amélioration de leur état de santé. La boxe avait permis également à certains de trouver un emploi notamment dans la police ou dans des agences de sécurité. Par ailleurs, la boxe permet de lutter activement contre les addictions notamment celle à la chang’aa qui fait des ravages dans les bidonvilles de Nairobi. Appelé, le kill me quick, il s’agit d’un alcool distillé à partir de maïs et coupé au méthanol, au carburant d’avion ou avec des produits d’embaumement mortuaire.
Diaporama photos: Le club de boxe de Rekebisho, 2018.
Cette activité a pu rapidement être remise en place quotidiennement de 16h à 19h dans la cour de Rekebisho, ceci notamment grâce à un entraîneur de boxe réputé au Kenya James Kinuthia (Abu) qui s’est porté volontaire. Nous avons décidé avec Impact Boxing Zone de les épauler dans cette démarche et d’organiser une collecte d’équipement de boxe en France (avec l’aide de Apollo Sporting Club). Nous avons également organisé un séjour boxe solidaire “le Muay-thai safari” durant lequel, les dons des équipements récoltés ont été distribués et des séances d’entraînement communes entre boxeurs français et boxeurs de Rekebisho ont été organisées. Des boxeurs français réputés ont coaché et participé à ce séjour à savoir: Magali Denos, vice-championne du monde 2011 et 2014 de Kick-boxing et championne intercontinentale 2014 de Muay-thaï, Samy Besséké, champion intercontinental de Muay-thai, 2015 et Djibril Benahmed, champion de France 2018 de Muay Thai.
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Les projets futurs : empowerment et autofinancement
Concernant l’école de Rekebisho, l’ouverture de 2 classes supplémentaires est prévue dans un future proche et sera financée par l’association française les Amis de Rekebisho.
Comme à l’heure actuelle, le club de boxe ne possède malheureusement pas de financement régulier, nous souhaitons en plus de la mise en place de collectes régulières d’équipement de boxe, les aider à trouver des financements pour leur permettre premièrement de distribuer des repas après les entraînements et les compétitions, deuxièmement de rémunérer même de façon symbolique les entraîneurs et troisièmement de trouver un local plus grand et plus adapté (équipé d’un ring et de sacs de frappe). L’espace qu’ils utilisent est petit et situé en extérieur. En cas de pluie, les entraînements ne peuvent avoir lieu. Nous souhaitons aussi permettre aux meilleurs boxeurs de Rekebisho de participer à des compétitions internationales.
Concernant les projets à plus long terme, l’autofinancement est notre priorité. La création d’une “Boxing gym” permettra de générer des revenus par : des adhésions, des cours de boxe loisirs et de fitness, des accès libres aux machines de musculation, l’organisation de Gallas de boxe, et la location de la salle pour des événements en tout genre. Bien entendu, la salle restera gratuite pour les jeunes des bidonvilles mais elle permettra le financement du club et celui de l’école tout en employant certains membres de Rekebisho.
Cet été, à l’occasion des 20 ans de l’existence formelle de Rekebisho (Rekebisho existe depuis 22 ans mais durant les deux premières années, le projet existait de manière informelle) nous organisons un second voyage solidaire et sportif avec dons d’équipement récolté en France. Nous avons également l’intention de réaliser un documentaire sur Rekebisho et d’organiser une fête pour célébrer cet anniversaire qui nous tient tout particulièrement à cœur car, en plus, de l’action solidaire, Rekebisho est pour tous ses membres, kényans mais aussi français (financeurs, anciens bénévoles, fondateurs, membres de l’association “Les Amis de Rekebisho”…) une véritable famille à laquelle nous sommes tous foncièrement attachés.
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A consulter:
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